Jan Fabre - Les messagers de la mort décapités (2006) |
Une exposition, c'est des œuvres exposées, bien sûr, mais c'est aussi (et surtout, à mon humble avis) une façon de choisir et disposer ces œuvres.
En gros (et je m'en excuse d'avance), je ne vais pas vous livrer un descriptif des œuvres que j'ai été voir dernièrement, et vais plutôt vous bassiner à mort sur la scénographie.
Parce qu'aujourd'hui, la scénographie est devenue un art à part entière, l'art de manier les œuvres des autres avec plus ou moins d'intelligence ou de mépris, pour au final composer l'oeuvre absolue de quelques scénographes aux chevilles enflées.
Trop souvent, quand je vais à une exposition, ce ne sont plus des œuvres que je vois, mais un dispositif, une grosse machinerie relevant d'une certaine mégalomanie.
Et la mégalomanie, en voilà un sacré problème pour Là où commence le jour, exposition réalisée dans le cadre de Renaissance, nouvelle vague artistico-marketing lancée par l'industrie Lille 3000.
J'ai pris connaissance de l’événement par le biais d'un article publicitaire, qui reprenait substantiellement ce que chaque visiteur a pu trouver dans la plaquette de l'exposition, et qui vendait l’événement comme étant "un parcours poétique ayant pour thème l'émancipation de l'individu par la (re)connaissance du monde qui l'entoure".
Et c'est qu'un extrait ça les gars. On espère qu'au fil de la lecture, le thème va se préciser, mais à part la magie, et les jolis mots pailletés, bah c'est le flou artistique. Difficile de ne pas osciller entre effroi et curiosité mal placée à la lecture de ce texte qui cherche à planquer la vacuité de son propos sous des jolis mots "poétiques". Parce qu'au final, à la fin de la lecture, on a tellement rien compris au sujet de l'expo qu'on a qu'une envie, aller voir sur place si la poésie et le voyage "sensible et mystérieux" sont au rendez vous.
Et bien je n'ai pas été déçue.
Aujourd'hui, en matière de scénographie, on constate deux cas de figure récurrents : pour la majorité des expositions contemporaines, une scéno fainéante et plate, sans parti pris, sans idées, peut être par peur de s'approprier les œuvres… Ou alors, bonheur trop rare, créative et engagée, et là, on peut s'attendre au meilleur (quelque chose d'intelligent) comme au pire (un truc outrancier et maladroit, une pute qui sent la bière a qui on aurait enfilé un tutu pour en faire une princesse).
En somme, c'est très facile de faire une mauvaise scénographie, et si les œuvres ne sont évidemment pas toujours au goût de tous, combien de scénographies ont bousillés le potentiel d’œuvres… Imaginez la Joconde accrochée dans vos chiottes. Ce peut être intéressant… Ou pas. Vous voyez où je veux en venir…
Commençons par saluer le chef d'orchestre du LaM, qui il faut le reconnaître, a fait preuve de créativité et de sensibilité. On sent que ce monsieur a fait preuve d'une réelle bonne volonté, en cherchant à instaurer une atmosphère, un peu mystique, entre magie et science, plutôt réussie. Mais, question : l'art doit il se décrédibiliser et perdre en profondeur au profit d'un aspect plus "magique" ?
C'est là que je reconnais bien mes petits copains de Lille 3000 : voilà un certain temps qu'à Lille, le plus gros de l'espace muséal tend à se transformer en vastes cours de récréation, "pour le plus grand public"… C'est une belle idée les gars, la culture pour tous, je suis ok, mais est ce que ça veut dire qu'on doit prendre les gens pour des abrutis incapables de réfléchir par eux même au sens d'une oeuvre ? Le "grand public" serait il trop abreuvé de télé réalité et de consommation facile pour pouvoir fournir un petit effort de concentration ? Allez, soyez pas méprisant les gars, faire du ludique c'est chouette, mais faut aussi apporter du fond, du contenu, l'art ça sert à grandir les gens oui ou merde ?
La scénographie est vraiment poussée, réfléchie, parfois même maniérée, prenant alors (souvent) le pas sur les œuvres exposées (avec notamment le côté cabinet de curiosité, qui se prête parfaitement à la thématique globale de l'exposition). Tout ça est plutôt sympa et intéressant mais les œuvres sont trop souvent entassées ; la quantité c'est chouette, mais on ne leur laisse que peu de respiration (sauf très rare exception). Les œuvres sont au final bien souvent traitées davantage comme des objets décoratifs que comme des installations qui mériteraient un environnement adéquat (plus SPACIEUX) pour enfin s'exprimer.
La magie s'illustre aussi dans l'usage d'enluminures et gravures (beaucoup de cartes du ciel, des essais d'astrologie moyenâgeux vraiment superbes et fort à propos), mais ceux ci font souvent figure d'autorité, comme des points d'ancrages introductifs à chaque pôle. Ces enluminures auraient vraiment gagnées à bénéficier d'une scénographie plus imaginative, afin de les faire sortir de la tranquillité un peu poussiéreuse des lourds volumes reliés, un peu distants.
Un point qui m'a vraiment, mais alors vraiment contrarié, ce sont les tablettes tactiles remplaçant les cartels. Mais non quoi, non, on sait que vous avez de l'argent, ça sert à rien d'en faire l'étalage comme ça… Peut être était ce là aussi la démonstration d'un côté magique "technologique" un brin tapageur, mais en occurrence ça n'avait aucun sens de faire ça, et surtout, ce n'est absolument pas pratique !! Quand on souhaite une explication sur une oeuvre, on doit faire la queue comme un con pour enfin accéder à la tablette, du coup la navigation dans l'exposition est interrompue, et il faut choisir : regarder les œuvres, ou lire les descriptifs, bref, la dissociation des deux est extrêmement malhabile.
Mais je me perds dans des détails.
Parlons un peu de la construction même de l'exposition, les différents pôles. Les thématiques sont plutôt aisées à cerner et à comprendre, mais ne manque-t-il pas de cohérence dans la succession de ces thèmes (12 pôles ! 12 !!!) ? L'exposition s'éparpille, s'étale sur plusieurs plans, se refusant le luxe de la profondeur… L'exposition a trop peur de creuser, peut être par peur de perdre son "grand public", et c'est bien regrettable, parce qu'il y a matière à faire quelque chose de bien.
Les thèmes sont donc aisées à assimiler, pris dans cette magie de pacotille pour faire passer la pilule, sauf que voilà, ça prend pas, les ficelles sont bien trop visibles dans ces vulgaires tours de passe passe.
Conclusion ; c'est grand public, ça se veut frais et ouvert d'esprit, avec en plus des média artistique variés, pas toujours commun en musée (des performances musicales au sein de l'exposition par exemple), mais tout semble un peu grossier, ça manque de conviction. La magie est là, elle circule autour de nous, c'est joli, mais ça ne touche pas sa cible. J'ai essayé de suivre le courant magique, j'ai accepté la poussière d'étoile qu'on m'a balancé en pleine gueule, mais partout où on espère un approfondissement, une intensification, une force qui viendrait nous achever, et bien on se retrouve au milieu de la salle comme un con, la magie s'est débinée, et on a clairement plus affaire à un Houdini de supérette qu'à Merlin l'Enchanteur.
L'exposition s'achève le 10 janvier, donc si vous êtes curieux, allez y de suite (ne serait ce que pour vous marrer).
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